L’alpage, préparatifs
L’agriculture
Il est temps, pour les procureurs, de se préoccuper de l’inalpage. Pour un bon fonctionnement de cette prochaine saison d’estive, chaque « montagne » a désigné un « procureur » ou « maître » et son « valet« , tous deux se partageant pouvoirs et responsabilités. Ils ont été nommés lors de la réunion d’automne, selon un tour de rôle au sein des consorts. À leur tour, le temps venu, ils laisseront la place aux suivants. Un fonctionnement communautaire qui a fait ses preuves de temps immémorial et que personne ne souhaite remettre en cause.
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Porteur du bois nécessaire pour cuire le fromage
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Troupeau de vaches traversant la Mer de Glace en direction de l’alpage de Bayer
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Une belle clarine au cou de cette vache
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Deux très jeunes bergers à Blaitière en 1905
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À Loriaz, à l’heure de la traite
À la montagne de la Pendant, on anticipe et on établit, dès 1880, la liste des consorts qui se succéderont comme procureurs jusqu’en 1945, année après année ! L’avenir en décidera autrement, avec les dégâts des deux guerres mondiales. En 1790, dans l’acte notarié intitulé « reconnaissance« , les consorts de Blaitière « députent respectivement (…) comme procureur spécial et général les honnêtes Joseph feu Jean Melchiord Frasserand et Eugène feu Joseph Marie Savioz« .
À la Flégère et à Planpraz, pas de problème. Situées à l’adret, ces montagnes bénéficient de soleil. La pelouse alpine reverdit tôt. La date de l’inalpage est généralement fixée autour de la Saint-Jean (29 juin). Pourtant, en fonction de l’ensoleillement printanier, cette date varie beaucoup. En 1799, le procureur de La Flégère fixe au 30 juillet la date de l’inalpage, ce qui se traduira par une saison de montagne très courte ! Par ailleurs, il arrive que de grosses avalanches retardent considérablement la montée en alpage. En 1802, raconte Cachat le Géant, nous avons été à La Flégère pour refaire les écuries. Nous étions en grand nombre car presque tout avait été démoli, les écuries, la chavanne, une exceptée et les sartos. C’est une chose que les hommes n’avaient jamais vue mais ce n’est pas surprenant si l’on pense à la quantité de neige que nous avons eue cet hiver. Cette année-là l’inalpage ne se fait que le 15 juillet.
Respecté par tous, ce calendrier pastoral, à priori subjectif, est basé sur une grande expérience et une analyse pertinente des procureurs après observation de l’état de croissance de l’herbe. Broutée trop tôt, l’herbe n’a pas assez poussé. Non seulement la quantité de nourriture est insuffisante, mais le plant affaibli sera plus lent à reprendre la pousse : une trop lente régénérescence qui mettra en péril la fin de la saison d’estive. Ceux qui ont monté leur bétail avant la date seront sévèrement sanctionnés. En 1801, à Balme, il est bien précisé que l’inalpage « des bestiaux (…) ne pourra pas avoir lieu les uns sans les autres ; et si quelqu’un y conduisant des vaches ou autres bestiaux avant la fixation du jour de l’inalpage général (…) l’on pourra saisir telles vaches et se faire dédommager tel que de raison outre les dépens ».
Avant la montée des bêtes, il faut vérifier les chemins dont l’entretien incombe aux consorts ainsi que, bien entendu, les chavannes et les écuries. Chaque année, les procureurs ont l’obligation de « faire employer les journées » nécessaires à l’entretien des sentiers et au défrichement. « Les ouvriers seront payés et nourris aux frais de ladite montagne. Ces réparations se feront dans la montagne aux endroits qu’il convient. » En 1857, les dépenses pour le chemin de la Flégère sont importantes et il faut compter six journées de travail en début de saison, réparties entre les ouvriers (consorts ou non). En 1891, Benjamin Bochatay est dédommagé de 60 francs par la montagne et de cinquante centimes par fond de vache pour le travail considérable qu’il a réalisé pour la « route » des Remues. Le procureur est également payé de ses sept journées de travail sur place.
Et puis les bâtiments d’alpage ont souffert pendant l’hiver. Le 20 juin 1920, Joseph Désailloud, procureur à Balme et consort pour la part n° 23, observe que le toit en ancelles de l’écurie du mulet est à refaire. Le 25 juin 1860, les consorts de la Flégère autorisent Ovide Devouassoux, Joseph Marie Claret et Jean Bellin, leurs procureurs généraux, à « faire procéder par expert de leur choix à l’évaluation de tous les bâtiments servant d’écurie attachés tant au chalet d’en bas qu’à celui d’en haut sans exception (…). Successivement de reconstruire en remplacement de ces divers bâtiments deux autres bâtiments communs dont l’un pour le chalet d’en bas dit de la Flégère et l’autre pour le chalet d’en haut dit de la Remuaz pour recevoir commodément toutes les vaches sous le même toit. (…)« . Cette autorisation leur est donnée dans l’intérêt évident de la communauté, pour une plus grande prospérité de l’alpage. Cette expertise a sans doute été très défavorable puisque dès l’automne suivant, une convention est signée entre les mêmes procureurs et Cogna Jean Baptiste feu Antoine, maître-maçon. On demande à ce dernier de démolir de fond en comble tous les bâtiments servant d’abri aux troupeaux à l’exception de la cave de la Flégère et de toutes les chavannes. Il devra ensuite réparer « convenablement la chavanne d’en haut en reprenant les murs qui surplombent et qui sont en mauvais état, et enfin de reconstruire à neuf en un seul bâtiment les écuries conformément au plan annexé ».
Cinq ans plus tard, un maître-maçon venu du Piémont, Tomasso Tambolano, signe une convention avec les procureurs pour reconstruire, en un temps record de quinze jours, l’écurie de la Remuaz qui a été « endommagée par une avalanche. »
En 1790, les procureurs, Joseph Frasserand et Eugène Savioz, peuvent engager les travaux nécessaires à l’alpage de Blaitière, y compris faire construire « tous bâtiments qu’ils jugeront convenables au lieu et terroir du Grand Chalet« . En 1838, Joseph Marie Couttet est payé par le procureur Claret-Tournier pour les réparations de la chavanne de la Remuaz et pour la fabrication de « quatre trablas pour la cave de dava« . À Lognan en 1896, une avalanche détruit une partie des écuries et de la chavanne. La reconstruction doit avoir lieu d’urgence. La mise à prix pour les réparations des écuries s’élève à 3750 francs. Trois hommes de Vallorcine, Albert et Alexandre Ancey et Bonaventure Burnet, seront adjudicataires du marché pour 3250 francs. Le travail sera réalisé cette année 1897, tandis que la chavanne et la cave à fromage seront reconstruites l’année suivante par les frères Ancey pour la somme de 1850 francs.
Les outils et ustensiles nécessaires à la vie à l’alpage sont préparés. L’élément principal est le chaudron dans lequel cuira le lait. En 1802, celui de La Flégère doit être changé. Enorme récipient pesant une quarantaine de kilos (« 84 livres, un quart et un huitième« ), il doit être descendu de la montagne à la fin de l’été pour être vendu, puis remplacé dès le mois de juin suivant par un autre, plus petit, d’une contenance de 144 pots au lieu de 190. Mais le prix de vente de l’ancienne chaudière ne couvre pas le prix d’achat de la nouvelle. La dépense sera de 54 sols et 14 deniers, monnaie de Savoie. En 1857, on achète à nouveau un chaudron neuf pour l’alpage. Il coûte 30 Livres.
Pour Blaitière, en cette année 1790, on a besoin d’un râcle d’écurie, d’épingles et de fil de fer, de planches pour fabriquer des étagères (trablas ou tablars), d’assiettes (écuelles), de trois toiles pour fabriquer le fromage (« grivière« ), d’oreillers et de papier. Aux alpagistes de la Pendant, en 1926, on apportera deux paires de sabots, de la paille, du tabac, du pétrole et des allumettes. À Balme, en 1912, on devra fournir un essuie-main, et une pelle ainsi que neuf mètres de toile à fromage. L’alpage est important et le personnel nombreux. Il leur faudra 84 pains et 50 kilos de pommes de terre pour tenir tout l’été, ainsi que six paires de galoches avec les clous pour les ferrer… Les bergers demandent un « pot de vaseline pour graisser les mamelles des vaches« . En 1918, on achète une écrémeuse et une baratte pour 62 francs.