Trésors cachés ? Un sous-sol inconnu
RUBRIQUE : Les gens d’ici, Les villages
Dans notre vallée, le sous-sol cache des richesses, revenus ou bienfaits pour les habitants d’autrefois. Aux ressources minières du secteur des Houches et Servoz s’ajoutent les eaux thermales des Mouilles ou l’exploitation du granit par les tailleurs de pierre. Mais il est une activité plus ancienne encore et oubliée : celle de l’utilisation du tuf et sa transformation en chaux.
Diaporama de l’article
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Servoz, une entrée de mine (actuellement fermée)
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Servoz, les fonderies apparaissent sur cette aquarelle de Linck.
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Bloc de granit dans la Moraine d’Argentière. Très régulières, se distinguent les encoches des outils des tailleurs de pierre.
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Encadrements de tuf des fenêtres de la Maison de la Montagne à Chamonix.
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Alphand et ses installations thermales aux Mouilles.
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Transport du bloc de granit depuis la carrière d’Orthaz jusqu’au pré de foire où sera érigé le monument aux Morts.
Au fond des mines : charbon, or, argent, cuivre, plomb
Peinte vers 1795 par Jean Antoine Linck, une magnifique aquarelle du hameau de Servoz permet d’apercevoir, à gauche, des cheminées d’usine en activité.Si on fait remonter au XVe siècle les premières exploitations minières à Servoz, c’est cent ans après que cette industrie se confirme grâce à un acte officiel signé en 1548 par le Prieur Guillaume de la Ravoire.
Beaucoup plus tard, avec la création de la « Compagnie anglaise pour la fouille et l’exploitation des mines de Savoie », sonne véritablement le départ des exploitations minières locales, notamment par un contrat signé en 1741 « par-devant l’Intendant général de l’artillerie, Antoine François Verain. Ce permis couvrait les mines de Maurienne, des vallées du Bonnant et de l’Arve ». Curieusement, à la même date, une caravane de seize britanniques est envoyée « prospecter en chaise roulante aux frais de la compagnie » ! « On peut se demander si ce ne fut pas la motivation du voyage de Windham et Pocock »[1], conclura Yvonne Gubler, géologue.
Quoiqu’il en soit, le hameau de Servoz se transforme ; les paysans deviennent mineurs, tel un dénommé Aymé Trappier de vieille souche du pays. L’année 1782 voit s’installer une nouvelle société d’exploitation, les « Mines du Haut-Faucigny » employant près de cinq cents ouvriers pour travailler aux fonderies construites afin d’extraire le métal noble de sa gangue. Créée par de hautes personnalités, cette société explore le sous-sol de Pormenaz, de nombreuses galeries s’ouvrent à flanc de montagne. Pourtant, lorsqu’éclate la Révolution, alors que les nobles ont fui le pays, le syndic[2] de Servoz doit faire face aux cris de « Mort aux tyrans » des mineurs. Le 18 pluviose 1793, sur papier à en-tête « Liberté, égalité ou mort » il somme les habitants de fournir au personnel de la Mine les mules nécessaires au transport du minerai ou du charbon, le beurre et le fromage qui leur sont alloués mensuellement et qu’ils ont cessé de leur procurer, de cesser toute hostilité à leur égard.
Au cours des premières années du XVIIIe siècle on assiste au déclin de cette activité. Dans un dernier sursaut, en 1807, la société des « Mines de Servoz et St-Gervais réunies » créée et dirigée par Cyprien Prosper Brard, brillant ingénieur, apporte quelques améliorations techniques. Malgré tous ces efforts, les galeries éloignées ferment une à une tandis que les fours tombent en ruine. Les installations sont jugées désuètes et limitées, à partir de 1822, à la seule exploitation du cuivre.
Les carrières de schiste ardoisier
Recherchée pour la qualité de la couverture des toits, l’ardoise fait l’objet, au XIXe siècle, d’une exploitation importante. Les incendies, comme celui de Sallanches en 1840 ou de Chamonix en 1855, font de terribles ravages et c’est souvent par les toitures que se propagent les flammèches.
En 1863, un encart publicitaire publié dans le journal « L’Abeille » par un certain François Serrasset, marchand de fer à Sallanches, vante les ardoises des Houches et Servoz. En 1889, deux habitants de Salvan, Jacquier et Coquoz, offrent leur service pour les ardoisières des Posettes. Situé en altitude et difficile d’accès, cet affleurement de schistes ardoisiers sera desservi dès 1922 par un plateau monte-charge construit par un certain Cachat, concessionnaire.
À la suite des ardoises, sont exploités, de manière artisanale, les schistes ardoisiers que l’on retrouve, menhirs miniatures dressés le long des chemins conduisant aux pâturages, les « gires ».
La source sulfureuse
La source sulfureuse des Mouilles, découverte fortuitement dès le début du XIXe siècle, fait très rapidement l’objet d’une analyse avant d’être exploitée selon la mode des stations « climatériques ». En effet, si l’on vient à Chamonix pour les excursions en montagne, on y cherche également les bienfaits de ces « bains de propreté » très en vogue. En 1824, sollicité par Charlet et Simond, propriétaires de l’hôtel de l’Union[3], pour étudier cette eau, Charles de Gimbernat, conseiller de Sa Majesté le Roi de Bavière, la déclare « minérale, froide, saline, sulfureuse ». Captée sur place, l’eau est canalisée par des amenées de mélèze jusqu’à l’hôtel où l’on peut voir, dans le jardin, plusieurs cabines alignées offrant aux touristes “toutes les commodités”. C’est le succès assuré.
Une vingtaine d’années plus tard, Ferdinand Eisenkraemer, nouveau propriétaire, revendique aussi la propriété de cette source dont les eaux sont « avantageusement connues ». Malgré la précarité des canalisations de bois, emportées régulièrement par les crues de la rivière, la source débite quatre cents litres par minute et une clientèle nombreuse vient à Chamonix profiter de ces eaux en dépit de curieuses prescriptions : « en boissons, bains, douches, pures ou mélangées aux eaux de l’Arve ou à du petit lait que la position des montagnes où sont beaucoup de chalets permet de se procurer en grande quantité« .
Pourtant, en 1879, le débit devient insuffisant. Le captage serait à reprendre… La source est abandonnée.
Il faut attendre 1930 et l’arrivée à Chamonix d’un certain Etienne Alphand pour voir renaître de l’intérêt pour la source sulfureuse. Originaire de Vallouise et recruté comme gendarme à Argentière, il épouse Emma Folliguet et s’installe définitivement dans la vallée. Souhaitant « ressusciter et donner l’importance qu’elles méritent à ces eaux appréciées avec juste raison par nos ancêtres », il achète les terrains et entreprend des travaux de réhabilitation du site : assainissement, captage et analyse de l’eau laquelle semble se conserver parfaitement en bouteille. Etienne Alphand fait construire un petit bâtiment destiné aux curistes qui viendront, sur place, profiter des bienfaits de la source baptisée « La Vivifiante« . Tout proche, un kiosque à musique abrite de petits orchestres. À l’entrée de la propriété, un portail de fer forgé et d’imposants piliers de granit ouvrent sur une large allée cavalière. Promise à « un très grand avenir » dans un site splendide, cette source tombe néanmoins en désuétude. Avec l’avènement des sports d’hiver et l’explosion de l’alpinisme, la petite maison est désertée. Mais les habitants du pays gardent tout de même, pendant très longtemps, l’habitude de venir remplir leurs bouteilles avec cette eau au goût exécrable mais qui, paraît-il, fait du bien.
Le granit erratique des moraines
Pierre noble, le granit est un des composants géologiques majeurs du massif du Mont-Blanc. Il n’est donc pas surprenant que les habitants l’aient utilisé pour leurs constructions. Le « sentier des graniteurs » permet de comprendre ce fabuleux travail, cet art d’un autre temps.
Sur la rive gauche de l’Arveyron, à La Filiaz et à la Pierre à Orthaz, ou dans la Moraine d’Argentière, se trouvent d’anciens sites de tailleurs de granit. On y a recensé jusqu’à trois cents ouvriers, pour la plupart d’origine italienne, comme en témoigne cet extrait de délibération du conseil municipal du 29 novembre 1900 : « Autorisation donnée à Mutazzi Henri, tailleur de pierres, pour l’exploitation de blocs de granit canton de La Voussaix… »
Arrivés dès le milieu du XIXe siècle, certains Italiens se sont, en effet, spécialisés dans la taille de cette pierre dite « froide », car très difficile à équarrir. Leur métier, à la fois très délicat et très physique, suppose une connaissance parfaite de la composition du granit : quartz, mica et feldspath. Seuls, un lit de cristaux plus fins ou une traînée de mica peut laisser repérer un plan de clivage, une possibilité de fendre ce minéral où les grains se mélangent, s’amalgament, inséparables ! Avec quelques broches d’acier, les graniteurs percent des trous distants d’une quinzaine de centimètres dans lesquels sont insérés des coins de bois. En hiver, les trous se remplissent d’eau qui se dilate en gelant. Quelques mois plus tard, les coins de bois gorgés d’humidité gonflent et continuent le processus d’écartement, faisant éclater la roche. La martelline et la bouchardepermettent alors de peaufiner la forme voulue, pilier nervuré ou chapiteau de pilier… Reste le délicat travail de sculpteur et de ciseleur à la massette de Galice et aux ciseaux. Les pierres préparées sont ensuite hissées sur un plateau de bois, lui-même roulé sur les rondins. Le chariot improvisé, tiré ou parfois retenu par hommes ou bêtes, est roulé sur un chemin de halage rapidement tracé.
Ces pierres taillées constituent, aujourd’hui encore, les magnifiques encadrements de portes et fenêtres, les consoles et balcons des hôtels et des maisons chamoniardes.
Les affleurements calcaires
Les noms des lieux-dits inscrits au cadastre sont souvent révélateurs. Ainsi, sur la rive droite de l’Arve au Tour, un parking s’est installé aux Tovasses dont l’étymologie nous renvoie au latin tofus et au patois toeu signifiant tuf. Aujourd’hui nous tournons volontiers les yeux vers le granit ou le gneiss des aiguilles, en oubliant qu’autrefois le tuf, roche calcaire légère, poreuse et tendre, est largement privilégié comme matériau de construction. Les parties les plus anciennes des chapelles et des églises ainsi que les ruines de la Maison Forte de la Rosière (1759) ou la Maison de la Montagne (XIIe siècle) en témoignent dans leurs encadrements de portes et fenêtres.
Le tuf est également exploité pour la fabrication de la chaux. Connue comme l’un des meilleurs liants en maçonnerie, la chaux s’utilise aussi pour fertiliser les sols acides de Chamonix. C’est à quelques dizaines de mètres des Tovasses sont creusés les fours à chaux, localement appelés, par leur origine celtique, « rafforts ». De forme circulaire et semi-enterrés à l’écart des maisons, on les emplit de couches alternées de combustible (bois) et de pierres de tuf, puis on recouvre le tout d’un épais « chapeau » de terre. Pendant plusieurs jours, le bois brûle dégageant une très forte chaleur qui « cuit » le tuf et le transforme en chaux.
Le sous-sol du Mont des Bossons cache une ressource maintenant inexploitée, le gypse utilisé comme engrais, tandis que, dans les secteurs de La Griaz et des Arandellys, affleure la craie. Si nous n’avons que de rares témoignages écrits de l’usage ancien de ces minerais calcaires, il nous reste heureusement à admirer les somptueuses corniches, volutes et autres feuillages sculptés à la Belle Epoque : les stucs. Additionnée d’eau, la poudre de craie devient pâte, matériau malléable parfait des stucateurs qui réalisent dessins et moulages des plus beaux ornements des salons et villas.
Joëlle Dartigue-Paccalet
https://www.toutchamonix.fr
Publié dans la brochure « La Vallée » n°11
Biblio/sources :
Stéphane Briand fb: Servoz: Jadis entre Science et Industrie.
André Derisbourg et l’Association « Servoz Histoire et Tradition »
Mino Faïta : « Les Italiens, peuple bâtisseur »
Yvonne Gubler in « Chamonix, une vallée, des hommes »
Dessins : Chantal de Prieck
Par l’autrice : les 19 brochures du patrimoine de Chamonix
[1] Considérés traditionnellement comme les premiers touristes venus dans la vallée depuis Genève.
[2] Syndic : nom donné au maire de la commune pendant la période sarde.
[3] Construit au centre du bourg, à l’emplacement de l’actuelle place de la poste (place Balmat).