Charamillon, le royaume de René à la Jeanne
RUBRIQUE : L’agriculture, Les gens d’ici
À Charamillon, les saisons d’estive perdurent, tant bien que mal jusqu’en 1964. Petit à petit, le nombre de bêtes dans la vallée diminue et les alpages se désertifient. Mais dans le haut de la vallée, aux Grassonnets, un agriculteur résiste : il se nomme René Ravanel.
Diaporama de l’article
-
Légende photo :
Charamillon en 1930
-
Légende photo :
Jeanne Ravanel dite « La Jeanne à René » à Charamillon où elle passe tous ses étés.
-
Légende photo :
René Ravanel, dit « René à la Jeanne », passionné des vaches de la race d’Hérens, lors d’une bataille des Reines.
Pratiquement le dernier à posséder un troupeau, il est éleveur par métier, mais aussi par passion, profitant des prés autour du hameau, là où les parcelles n’ont pas encore été construites. Avec sa mère, Jeanne, il gère sa petite exploitation familiale et se spécialise dans l’élevage des vaches noires de la race d’Hérens. Le cheptel n’est pas très important, tout juste six ou sept bêtes à l’étable en hiver… Pourtant, tous les deux, la mère et le fils, aiment les vaches, aiment leur métier et ne sauraient en changer. Leurs conditions d’exercice ne sont pas les meilleures, les pâtures se réduisent au fur et à mesure de l’extension urbaine. Les chalets poussent et il ne reste guère que le bas des forêts, inconstructible, pour parquer les vaches.
Or, à Charamillon, l’alpage est vide. Certes, la chavanne et les écuries sont vieilles, aucune rénovation n’y a été faite depuis longtemps. C’est pourtant là que René va revenir avec ses « noires » et dès l’été 1988, les sonnettes des vaches chantent à nouveau dans l’alpage.
C’est le début d’une belle aventure, celle de la restauration complète de cette « montagne ». Quel bonheur pour René, et surtout pour sa mère Jeanne, de passer l’été là-haut.
Quel bonheur aussi, pour les consorts de Charamillon, de voir à nouveau leur territoire s’animer d’un troupeau.
En 1990, Chamonix reçoit la visite du Prince Sadruddin Aga Khan. Au village du Tour, la vieille chapelle, construite en 1685, est très vétuste, la toiture ruinée, les murs rongés par le salpètre. Le Prince, charmé par ce très ancien édifice religieux, le sauve de la démolition en offrant une généreuse donation pour sa restauration. Invité à Charamillon, il tombe également sous le charme des vieilles écuries et participera financièrement à leur rénovation. Est-il aussi tombé sous le charme de Jeanne ? Toujours est-il qu’il l’invite à sa table lors du déjeûner officiel donné dans les salons du Majestic.
Grâce à cette manne inespérée, les consorts lancent un vaste programme de rénovation. Dès 1991, on démolit les écuries centenaires numérotées 1 et 2. Les remblais permettent d’agrandir la terrasse, et l’écurie numéro 3 est réparée.
L’année suivante, avec l’aide de l’Association Foncière Pastorale de Chamonix créée sous l’impulsion du maire Michel Charlet, on refait le toit de la chavanne ainsi que les aménagements intérieurs. L’action commune des agriculteurs de montagne et des alpagistes reçoit bientôt le soutien de la Société d’Economie Alpestre (SEA), structure compétente pour le travail administratif et technique que représente une réhabilitation de pâture d’altitude. Recherches de financement, dossiers de permis de construire, sites classés Natura 2000 ou réserve naturelle, normes agricoles et vétérinaires… ces travaux de paperasse sont généralement oubliés par les consorts !
En 1995, un gîte d’alpage est ouvert, avec tout le confort nécessaire : dortoirs, sanitaires, cuisine et salle à manger aux normes. L’ancien abri pour le bois et la soue à cochons ont laissé la place à un joli petit chalet de bois où le gérant du gîte retrouve un peu d’intimité dans un logement privatif.
Enfin, dans les anciennes écuries numérotées 4 et 5 ont été installées cuisine et salle à manger pour un sympathique restaurant à 1900 mètres d’altitude, « Les écuries de Charamillon ».
Depuis 1988, chaque été, a lieu « l’emmontagnure » des vaches noires d’Hérens de René. Et c’est un plaisir sans cesse renouvelé de suivre cette « poya » jusqu’à l’alpage. Là-haut, les bêtes retrouvent leur territoire et désignent leur meneuse. L’estive commence. Des histoires d’autrefois, des commentaires, des impressions, des souvenirs… les anecdotes fusent, nombreuses.
Problème récurrent, le débroussaillage des pelouses d’altitude est toujours difficile. Pendant trois jours en septembre 2016, Charamillon a accueilli une quarantaine d’élèves et leurs professeurs du centre de formation aux métiers de la montagne de Thônes. Grâce à une convention gérée par la SEA, les jeunes étudiants en « gestion et protection de la nature » se retrouvent en travaux pratiques sur le territoire de Charamillon. Résultat : un beau travail de défrichage.
Extrait du livre « Les alpages de la vallée de Chamonix » par Joëlle Dartigue-Paccalet – Editions du Pas-de-Chèvre – 2017