1914 : Chamonix entre Belle Epoque et pastoralisme (1)
RUBRIQUE : La Grande Guerre, Les gens d’ici, Les villages
Juillet 1914 : la vallée de Chamonix se partage entre tourisme bien affirmé et économie agro-pastorale traditionnelle. C’est l’été, l’alpinisme a ouvert la porte aux voyageurs. La compagnie des guides, créée en 1821 – près d’un siècle déjà -, permet aux montagnards d’offrir leurs services à une clientèle aristocratique aisée. Ils sont nombreux, déjà, à avoir trouvé d’autres sources de revenus que ceux de la terre. Ils se sont formés aux langues étrangères, apprennent l’anglais et l’allemand pour mieux servir leurs hôtes ou pour mieux accompagner les excursionnistes.
Diaporama de l’article
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Légende photo :
Famille Claret de Vallorcine
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Classe 1910 Servoz
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1909 – Arrêté préfectoral d’inspection et classement des chevaux et mulets
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1911 Plan de Chamonix du guide Joanne
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1900 Hameau du Morzay à Vallorcine
Juillet 1914 : la vallée de Chamonix se partage entre tourisme bien affirmé et économie agro-pastorale traditionnelle. C’est l’été, l’alpinisme a ouvert la porte aux voyageurs. La compagnie des guides, créée en 1821 – près d’un siècle déjà -, permet aux montagnards d’offrir leurs services à une clientèle aristocratique aisée. Ils sont nombreux, déjà, à avoir trouvé d’autres sources de revenus que ceux de la terre. Ils se sont formés aux langues étrangères, apprennent l’anglais et l’allemand pour mieux servir leurs hôtes ou pour mieux accompagner les excursionnistes.
C’est la Belle Epoque, une période d’opulence européenne au cours de laquelle naissent de nouvelles technologies. La nouvelle route d’accès à la vallée réalisée en 1867 sera bientôt suivie de la construction de la voie ferrée reliant la plaine de Sallanches à celle de Martigny en passant par la montagne ! De nombreux hôtels sont sortis de terre pour accueillir les étrangers en villégiature. « L’architecture sort du carcan traditionnel tout en confirmant les caractéristiques locales. C’est une période faste durant laquelle sont construits, outre les nombreux hôtels, trois palaces à l’architecture monumentale ». Ambroise Couttet en témoigne : « Le Carlton Hôtel appartenant à M. Simond a été ouvert en juin 1913. C’est un des hôtels les plus confortables de Chamonix. Le Chamonix Palace a été construit en 1913 par l’entrepreneur M. Guglielmetti, il sera achevé et ouvert pour la saison 1914. Le grand Majestic Palace s’est aussi construit en été 1913. C’est le plus grand bâtiment de tout Chamonix, il appartient aux enfants d’Edouard Cachat de l’hôtel Mont-Blanc en grande partie. Il est construit en ciment armé avec les derniers perfectionnements modernes. Il sera ouvert en 1914. L’hôtel Richemond et Beauséjour a été bâti et achevé en 1914 par M. Jules Folliguet son propriétaire. » On voit également apparaître les premières résidences secondaires, villas de villégiature où l’art Nouveau est privilégié.
L’arrivée des sports d’hiver confirme largement la vocation touristique de la vallée. Les hôtels, désormais chauffés, reçoivent les citadins en mal de bon air pur de la montagne, celui qui colore en rouge les joues des enfants sur les affiches publicitaires. On fait de la luge et du skeleton, on patine en musique et on se promène en traîneau-calèche.
À Chamonix, station touristique qui ne cesse de se développer et où afflue une riche clientèle cosmopolite, on n’a que faire des problèmes politiques. Maîtres d’hôtel ou sommeliers sont souvent recrutés en Suisse ou même en Allemagne. En 1911 sur une population totale de 3129 habitants, la commune de Chamonix recense 505 étrangers. Les troubles qui commencent à ébranler les dirigeants à Paris et dont certains journaux se font l’écho ne s’affichent pas. Les festivités sont programmées, la saison sera belle et les affaires florissantes ! Près de 20 000 touristes se rendent à la Mer de Glace chaque année grâce au petit train à vapeur qui fonctionne depuis 1908. Ce site reçoit la visite de Monsieur Armand Fallières, président de la République le 10 juillet 1910. L’hôtel de Ville, installé dans les locaux de l’ancien hôtel Impérial, est inauguré le même jour. Du côté de Saint-Gervais, on construit la ligne du futur Tramway du Mont-Blanc qui doit pouvoir transporter les voyageurs jusqu’à Tête Rousse. En 1913 les travaux s’arrêtent – provisoirement – aux Rognes.
Comme de nombreuses vallées limitrophes, Chamonix voit affluer un nombre assez important de maçons et tailleurs de pierre venus du Piémont, Val d’Aoste ou Lombardie. Bâtisseurs, les « graniteurs » et « muratori » se spécialisent dans les grands travaux de percement de tunnels, construction de ponts et de viaducs, érection de murs de soutènement. Trouvant sur place la pierre nécessaire, ils savent trouver les plans de clivage et découper cette roche si dure en beaux blocs rectangulaires. Les « chutes » sont concassées en un beau sable gris. A chaque belle saison, les carrières d’Orthaz ou de la moraine d’Argentière voient revenir ces maîtres-ouvriers au savoir-faire inégalé en France pour construire les voies ferrées, les routes, les hôtels avec leurs balcons, appareillages et escaliers… À la veille de la guerre, la Haute-Savoie en dénombre environ 15 000. Sur les chantiers, ce n’est pas toujours l’entente cordiale : « Les ouvriers italiens et ceux de chez nous se trouvèrent souvent opposés et l’expression Pîmontaîs! devint la suprême injure. On travaillait dur, on buvait sec et l’on frappait de même. Querelles, rixes et violences diverses marquèrent les soirées dominicales ».
Au cours de cette période faste, de nombreux petits métiers s’ouvrent aux hommes. « On pouvait travailler à la ligne, écrira Edmond Désailloud, où on pellait la neige en hiver, aux dernières mines du pont Sainte-Marie, à l’extraction de la glace à Taconnaz et Argentière, des ardoises et du charbon à Coupeau. On était cristallier, guide ou porteur pour les refuges en construction : La Charpoua et l’ancien Couvercle, ouverts en 1904, Argentière ou le Goûter en 1906. On faisait aussi, après la débâcle du 12 juillet 1892 à St Gervais, des portages et des mesures pour Monsieur Vallot au glacier de Tête-Rousse. On y entretenait la galerie creusée pour l’évacuation des eaux. On édifiait les barrages du Nant de la Griaz, on construisait les écoles, fruitières et coopératives, on participait aux coupes de bois comme aux travaux des Eaux et Forêts. Quant aux femmes et aux jeunes filles, beaucoup faisaient la saison dans les hôtels, les blanchisseries, les commerces.«
D’autres « se placent », comme Séraphine, employée de maison à Paris qui rêve de revoir Vallorcine : « Ma patronne me donne un mois de vacances si je veux, elle n’y tient pas car il faut qu’elle en prenne une autre et cette année ce n’est pas bien gai, et je ne crois pas qu’il y aura des trains à demi-tarif. Je serai cependant bien heureuse d’aller vous revoir tous. Ça va faire quatre ans cet été. »
Majestic, Savoy, Chamonix-Palace affichaient complet et le petit commerce marchait bien et on trouvait aisément de l’embauche. Un bon ouvrier pouvait se faire jusqu’à cent sous par jour. Le pain rond de 2 kg coûtait 6 sous, le litre de lait, comme le litre de vin 4 sous.
En 1909, les prix affichés à la coopérative de Servoz :
– 1 kg de sucre : 0,40
– 2 moules allumettes : 0,35
– 2 kg de cristaux de soude : 0,25
– 1 l d’huile : 1,15
– 1 kg de farine : 0,40
– 1 sac de son : 7,60
– 1 paire de galoches : 4
– 2 kg de riz : 0,95
– 2 savons : 0,65
– 1 hecto bourgeons de sapin : 0,25
– 2 l de pétrole : 1,10
– 1 tube de lampe: 0,20
– 1 paquet chicorée : 0,30
– 1 livre de café : 0,70
– 2 paquets allumettes : 0,25
– 2 kg de pâtes : 1,05
– 1 paire de souliers : 13,75″
Références : livre « Chamonix et la Grande Guerre » par Joëlle Dartigue-Paccalet – Edition CCVCMB 2018