Aux praz, une chapelle votive
RUBRIQUE : La religion, Les villages
Visitée, photographiée sous tous les angles, la chapelle des Praz présente des lignes architecturales particulièrement esthétiques, épousant les tracés naturels des aiguilles qui la surplombent, les Drus, les Flammes de pierre… Elle fait partie de notre patrimoine récent puisqu’elle n’est construite que depuis quelques dizaines d’années. Mais à peine plus d’un demi-siècle lui aura suffi pour parfaire son intégration dans le site. Connue de tous, elle est sur tous nos documents touristiques : on la peint, on la sculpte, on la reproduit en maquette… et on l’envie aux habitants des Praz.
Diaporama de l’article
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Légende photo :
Dessin de l’architecte Rostagnat
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Légende photo :
L’autel sculpté dans le granit par un tailleur de pierre italien en 1960
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Légende photo :
La porte du tabernacle figure le traditionnel pélican nourrissant ses petits. Elie Pellegrin a utilisé l’émail.
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Légende photo :
La charpente vue de l’intérieur
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Légende photo :
L’harmonie des lignes
Historiquement, la chapelle des Praz est bien une chapelle votive. En effet, souhaitée de longue date par les habitants du village, ils ont réellement manifesté leur volonté de la construire lors de la dernière guerre. Au début des années 1940, la surveillance des frontières impose une présence très importante des soldats dans la vallée. C’est ainsi que la forêt du Paradis abrite un campement de soldats du 199e. Leur aumônier, l’abbé Béton, leur propose un culte pour le dimanche et la messe sera célébrée en plein air. Les gens du pays viendront très vite se joindre aux rangs des fidèles.
« Ça remonte à loin, et je n’y suis pas pour beaucoup à l’origine, étant aumônier bénévole, donc sans galon ni page. Je disais la messe tous les dimanches en plein air pour les soldats et les gens du pays affluaient… »
Les terribles moments qui suivront emporteront la décision : construire une chapelle pour remercier le ciel de protéger les habitants.
Des années difficiles
Tout près, sur la route des Gaudenays, habite André Rostagnat. Résident secondaire, il adore son pays d’adoption et propose ses talents d’architecte. Parallèlement, c’est Henry Chevallier, architecte lui-aussi, qui se charge du suivi des travaux. L’endroit est tout trouvé. Au bout du village se trouve un terrain communal. On déplace le bassin de quelques mètres, et dès 1941 la première pierre est posée, puis très vite, on monte les murs de granit. Les pierres proviennent de la carrière d’où l’on a extrait, auparavant, les matériaux pour la construction du téléphérique des Glaciers. Engagés par Monsieur Vigna, des « muratori » italiens se chargeront du travail.
Mais les événements ne permettent pas au chantier de suivre son cours tout à fait normalement, et certains habitants des Praz se souviennent avec amusement et émotion de cette époque où la chapelle inachevée sert à tout et à tout le monde : untel y parque ses moutons, tel autre y cache son bois de chauffage exploité clandestinement…
Pourtant le toit est bientôt posé et le clocher construit. Pour découper la très belle charpente, dessinée par André Rostagnat, on fait appel à un Argentéraud : Michel Ravanel, dit à Binet, qui possède sa propre scierie à la Rosière. Quelques hommes du pays se chargent de monter poutres et chevrons qui constitueront l’ensemble superbe que l’on peut toujours admirer aujourd’hui.
Les travaux reprennent
La guerre est enfin finie, et le 7 juillet 1945 Marcel Couttet, alors président du comité de village, envoie un courrier à l’architecte lui précisant qu’il a été décidé de « continuer les travaux laissés en suspens par suite de la guerre » et l’invitant à venir « sur place afin de mettre au point la chose avec les entrepreneurs pour que les travaux recommencent le plus rapidement possible ».
Et les travaux reprennent. Ils avancent lentement, au rythme des possibilités financières du comité de village. Deux kermesses sont organisées, les dons sont bienvenus et les quêtes des messes célébrées en été sont, bien sûr, affectées à ces dépenses.
Les menuiseries sont fabriquées en 1946 par Prosper Lanche de Sallanches qui taille les montants de la grande porte dans du chêne massif de 60 millimètres d’épaisseur. Les ferrures sont forgées par un artisan lyonnais, et, en 1947, un autre artisan lyonnais, Jean Coquet, exécute les vitraux qui donneront cette superbe pénombre bleutée à l’intérieur de la chapelle. Le perron est aménagé un peu plus tard, avec des murettes pouvant faire office de bacs à fleurs.
Les aménagements intérieurs
Le début des années 1950 correspond à l’aménagement intérieur de la chapelle. Elie Pellegrin prend la présidence du comité de chapelle.
Paul Rostagnat, fils de l’architecte, propose un parquet de frêne sous l’emplacement des bancs, et une allée centrale carrelée de porphyre gris et vert avec, en mosaïque, une Croix de Jérusalem dorée et ourlée de vert foncé. L’entreprise Togna, d’Annemasse, se charge du carrelage.
Pour l’autel, il souhaite, en accord avec les gens des Praz, quelque chose de très dépouillé. « Le reste de ce bâtiment étant très simple, il serait bon que cet autel soit peu travaillé, et, s’il doit y avoir une décoration, qu’elle soit concentrée sur lui tout en restant dans un esprit de simplicité. Nous pourrions envisager une inscription quelconque dans la partie haute, et réserver le médaillon en saillie sur la partie inclinée, à une effigie de l’époque romane, par exemple. Le tout serait évidemment exécuté en granit du pays et les bas-reliefs traités de manière assez grossière. » On retient comme inscription : « Si tu savais le don de Dieu ». C’est un artisan italien, embauché par Monsieur Vigna, qui exécutera en 1960 ce très beau travail dans un bloc de granit de Combloux. « Le pauvre homme, raconte Raymond Couttet, venait aiguiser ses outils chez nous. Je me souviens combien cet hiver-là, il a souffert du froid. »
Le logement du tabernacle soulèvera une petite polémique dont on sourit aujourd’hui. Prévu, selon les plans d’origine, sur une console située derrière l’autel, il devra attendre quelques années avant de trouver sa place. En effet, Monsieur le Vicaire général, responsable de la « Commission de liturgie et d’art sacré » de l’Evêché, se rend sur place en 1959 et demande que, selon les prescriptions, le tabernacle soit inclus à l’intérieur de l’autel. Une petite niche y sera donc creusée… qui restera inutilisée !
Une magnifique réalisation collective
C’est à Elie Pellegrin que l’on doit le petit tabernacle de bronze dont la porte est décorée d’un motif émaillé, ainsi que le Christ en bronze ornant le mur. C’est également lui qui a sculpté dans un morceau de grès rapporté des Baux de Provence, la statue de la Vierge au-dessus du porche.
Après la tempête de foehn de l’automne 1982, on répare le toit du clocher et sa flèche qui peut, désormais, s’élancer à nouveau au-dessus des maisons du village. La cloche est offerte par Roger Couvert.
Bien qu’elle appartienne officiellement à l’Evêché, les habitants des Praz se sentent un peu propriétaires de leur chapelle et ils en ont toujours assuré la responsabilité matérielle. Cette année (1995) les entreprises Paul Chamel et Folliguet se sont chargées des peintures intérieures et du vernis des parquets. Sa construction ne s’est pas faite en un jour, les travaux s’échelonnant en réalité sur une vingtaine d’années. Pourtant l’année 1995 sera l’année de son cinquantenaire puisque sa naissance est directement liée à la fin du conflit qui était à l’origine de sa conception.