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Benoît Couttet, la patinoire de Chamonix et les JO 1924

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Le rôle de Benoît Couttet, dans l’organisation de la Semaine des Sports d’Hiver de Chamonix de 1924, a été peu médiatisé mais pourtant essentiel. Il prévoit les chutes de neige, se lève à deux heures du matin par -20°, réveille ses travailleurs, sait les persuader que déblayer 60 centimètres de neige fraîche entre minuit et cinq heures du matin est une véritable partie de plaisir. Et vers neuf ou dix heures, lorsque les patineurs inquiets se présentent, la piste est ouverte, la glace luisante.

Diaporama de l’article

  • Légende photo :

    Groupe travaillant à la préparation de la patinoire sous la houlette de Benoît Couttet.

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    Pour fabriquer le revêtement glacé de la patinoire, Benoît Couttet et ses hommes arrosent copieusement la surface et laissent agir les températures glaciales de la nuit.

    Né en 1877 aux Pèlerins au sein d’une grande fratrie, Benoît Couttet est nommé guide en 1903, ce qui lui permet, avec ses frères Ambroise et François, de construire et d’exploiter le refuge du Plan de l’Aiguille. Un premier chalet (construit en 1896) accueille les guides et leurs clients tandis que la deuxième bâtisse abritera l’écurie des mulets, volontairement orientée au nord de façon à chasser les odeurs des bêtes qui indisposeraient les excursionnistes.

    En 1903, Benoît Couttet et ses frères tracent, louvoyant d’un bloc écroulé à un autre, contournant d’énormes rochers, le chemin menant du Plan de l’Aiguille (appelé aussi Tapiaz) au Montenvers. Le sentier est suffisamment large pour que les excursionnistes puissent le parcourir à dos de mulet ou en chaise à porteur.

    Guide très entreprenant, Benoît Couttet n’hésite pas à voyager avec ses clients : Suisse, Italie, Autriche et même Etats-Unis, ce qui lui permet de maîtriser la langue anglaise. Lors de la Première Guerre mondiale, Chamonix accueille, de février à mai 1918, de nombreux permissionnaires américains. Benoît Couttet se voit attribuer une carte d’identité de la Mission militaire française auprès de l’armée américaine pour servir d’interprète et de guide principal à ces soldats. Il sera décoré en 1930 de la médaille interalliée de la Victoire.

    À l’aube de la future VIIIe Olympiade, Chamonix dispose de nombreux équipements pour la pratique des sports d’hiver. La piste de bobsleigh est tracée dans les champs des Chaudérons et de la Roumna, versant Sud, et de nombreux villages de la vallée ont construit leur tremplin de saut à skis sur lequel les jeunes s’exercent en hiver : au Planet, à Montroc, à Argentière. Près du Savoy-Palace se trouve le vieux tremplin de Samaran dont l’espace de réception un peu trop horizontal provoque de nombreuses chutes. Près des Praz, au lieu-dit Les Frasses, trois tremplins accueillent les concurrents lors de leurs entraînements de même que les tremplins du Mont-Blanc (Grépon), construits en 1908. Enfin, Chamonix dispose d’une ou – plus souvent – de plusieurs petites patinoires, parfois tout simplement aménagées par les hôteliers sur le toit-terrasse de leur établissement, pour un usage privatif. La patinoire principale de la station, créée par Albert Hassler près de l’hôtel Beaulieu, propose, en 1923, près de 5 000 m2 de surface glacée, ce qui permet l’organisation de belles manifestations, matches de hockey sur glace, courses de vitesse, ou autres jeux amusants tels la course avec cerceau ou le saut de chaises où excellent les acrobates du patinage. Mais ces infrastructures locales ne conviennent pas à l’organisation d’un événement tel que la VIIIe Olympiade et le Comité olympique exige une surface de 36 000 m2, sept fois supérieure à la surface existante.

    Sur la rive gauche de l’Arve, vis-à-vis de la patinoire Hassler, se trouve une gravière, zone de divagation de la rivière. Ce délaissé est choisi pour construire la nouvelle structure. Avant de commencer tout aménagement, il est nécessaire de contenir les débordements du cours d’eau par une digue. Le service des Ponts-et-Chaussées, adjudicataire du chantier le 4 mars 1923, fait aussitôt appel aux Chamoniards pour ces travaux à exécuter d’urgence, la période hivernale d’étiage étant favorable. Comme pour l’endiguement de l’Arve à Argentière en 1908 lors de l’arrivée du chemin de fer, les maçons italiens montrent tout leur talent dans l’art de construire de solides et hauts murs de pierres qui canaliseront les flots torrentueux au moment de la fonte des neiges. Le 6 mai sont adjugés, sous la tutelle des Ponts-et-chaussées, les travaux de nivellement du sol, drainage, réseaux souterrains et clôtures. Sous le contrôle de Benoît Couttet et de Jean Claret, les Chamoniards s’attellent à cette lourde tâche. Ils sont une trentaine d’hommes à travailler d’arrache-pied à ce gigantesque chantier consistant tout d’abord à remblayer le terrain de quelque 28 000 mètres cubes de terre prélevée dans le petit lac du Bouchet jouxtant le casino municipal. Mais les matériaux, des souches, des « boules d’Arve » (énormes galets de granite roulés par le cours d’eau lors des périodes de grosses eaux) et de la vase, sont difficiles à extraire et à transporter. Le travail à mains d’homme se révèle plus efficace que l’excavatrice mise en place par l’entreprise Catella. Si l’été 1923 est sec et chaud, le printemps qui l’a précédé a laissé ce terrain plus ou moins marécageux. Sur un sol instable, les wagonnets Decauville sortent régulièrement de leurs rails.

    Le rôle de Benoît Couttet, dans l’organisation de la Semaine des Sports d’Hiver de Chamonix de 1924, a été peu médiatisé mais pourtant essentiel. Directeur de la patinoire et responsable de la glace, il dispose d’un savoir-faire indispensable pour déterminer l’heure du grattage et de l’arrosage de la patinoire. Comme le relate « L’Auto » en janvier 1923, il est aussi un travailleur acharné et un meneur d’hommes. Il prévoit les chutes de neige, se lève à deux heures du matin par -20°, réveille ses travailleurs, sait les persuader que déblayer 60 centimètres de neige fraîche entre minuit et cinq heures du matin est une véritable partie de plaisir. Et vers neuf ou dix heures, lorsque les patineurs inquiets se présentent, la piste est ouverte, la glace luisante.

    Décembre est là, avec la neige et le froid. Le stade de glace est terminé avec un mois de retard. Mais il est flanqué d’un pavillon des sports parmi les plus modernes et il intègre les surfaces de glace nécessaires au curling, au patinage de vitesse ou de figure, au hockey sur glace… Tout est prévu, y compris un ruban de huit mètres de large pour les démonstrations de ski-jöring !

    Sources : Joëlle Dartigue-Paccalet :

    • De Blaitière au Plan de l’Aiguille, un refuge et un alpage.
    • Chamonix 1924, les premiers JO d’hiver.

    Illustrations : Famille Couttet des Pèlerins d’en Haut.

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