Un « Poilu » pour deux !
La Grande Guerre, Lieu de mémoire
D’un monument aux Morts à l’autre
Œuvre de Georges Armand Verez, sculpteur parisien d’origine lilloise, une statue représentant un Poilu est choisie pour le monument aux Morts de Chamonix. L’inauguration a lieu le 18 Septembre 1921 par Jean Lavaivre, maire. La statue est érigée par les entrepreneurs S. Catella et Jean-Baptiste Buzzolini selon les directives de François Dupupet, architecte, sur un haut bloc de granit d’une quarantaine de tonnes extrait de la carrière d’Ortaz.
Diaporama de l’article
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Légende photo :
Poilu du monument aux Morts de Lugrin
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Légende photo :
Poilu du monument aux Morts de Chamonix
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Légende photo :
Gros plan sur le visage de la petite Chablaisienne de Lugrin
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Légende photo :
La statue de la Chablaisienne coiffée de la charlotte et vêtue du châle traditionnel. Elle serre dans son bras gauche le drapeau tricolore. À sa main droite, la couronne de laurier.
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Légende photo :
Poilu du monument aux Morts de Lugrin
« Regardez-le bien, écrira Charles Gos, ce sublime guerrier de bronze, campé sur son socle… La capote relevée découvre les jambes musclées, bandées de molletières ; il est lourdement chargé de tout l’équipement que le front assigne aux combattants, le fusil en bandoulière, le casque sur le passe-montagne, un énorme rotin à la main, il monte en première ligne, décidé, intelligent, stoïque. Quand il s’enveloppe le soir, d’ombre et de silence, sa haute stature, violâtre dans les dernières clartés, se pare d’une indicible noblesse. Derrière lui, les cimes acérées des Drus sont encore dans la lumière, et devant lui les neiges du Mont Blanc réfléchissent, indécises, les teintes du couchant. Les montagnes collaborent pour accorder audience à l’homme en marche vers elles, et préparent sa réception. L’homme paysan montagnard, guide ou porteur, donc alpiniste, domine le paysage déjà noyé de nuit. Mort, il en est l’âme éblouissante ».
Un mois plus tard, en octobre 1921, la petite mairie de Lugrin, riveraine du Léman, inaugure à son tour son monument aux Morts. Taillant dans la pierre de roche du Jura et travaillant à la boucharde fine, les marbriers de Thonon Décorzent et Gavazzi ont souhaité représenter une Savoyarde vêtue de son costume traditionnel, couronne de laurier d’une main et drapeau français de l’autre, pleurant dans la dignité ses enfants morts pour la patrie.
Accordait-on si peu d’importance, à l’époque, aux sentiments des femmes qui, quatre longues années durant, avaient remplacé les hommes dans toutes leurs tâches ?
« Lorsque l’on découvrit la statue, écrit un journaliste, tous les assistants crurent y reconnaître une paysanne particulièrement mal bâtie des environs et dont les formes courtes égayent la malice des populations ambiantes. Un cri unanime : La Lulu, La Lulu ! partit spontanément de toutes les poitrines ; comme dit un paysan : « ce fut une bonne rigolade », tellement bonne que d’aucuns se demandèrent s’il n’y avait pas lieu d’enlever cette bouffonne image de son piédestal et de la remiser dans quelque cave solitaire. » Le journaliste poursuit : « Pour conserver le souvenir de nos grands morts il était suffisant de graver leurs noms sublimes dans les écoles, dans les mairies de nos villages et dans les chapelles. Et c’était chaque fois qu’ils auraient eu à remplir un acte de leur vie que les petits Français d’abord, les citoyens ensuite se seraient souvenus du sacrifice qui leur conserva la liberté. »
Les habitants finiront par déboulonner cette statue, image controversée d’un symbole inapproprié pour l’époque et l’abandonner le long d’un mur.
En 1926, enfin, une statue de Poilu viendra prendre la place qui lui était due, dressée sur un haut socle de calcaire : copie conforme de notre « Poilu » de Chamonix et comme sortie du même moule, Charles Gos aurait pu, de la même façon, écrire à son propos : « sublime guerrier de bronze, campé sur son socle… La capote relevée découvre les jambes musclées, bandées de molletières ; il est lourdement chargé de tout l’équipement que le front assigne aux combattants, le fusil en bandoulière, le casque sur le passe-montagne… » Seul, lui manque le rotin à la main !…
Au XXIe siècle, rendra-t-on justice à la petite Chablaisienne et lui offrira-t-on la place qu’elle mérite ?
On en parle, du côté du Léman…