Jean Mugnier guide d’Henriette d’Angeville
L’alpinisme, Les gens d’ici, Les guides
Mademoiselle, votre plume vous va comme à moi la corde
Le 5 septembre 1838, lorsque la caravane d’Henriette d’Angeville quitte Chamonix pour l’ascension du Mont-Blanc, elle compte six guides et deux porteurs dont Jean Mugnier, 31 ans.
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Livre anniversaire des 200 ans de la Compagnie des guides de Chamonix. Couverture, photo David Ravanel
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À droite au 2e plan : Jean Mugnier
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Pierre Simond et Jean Mugnier (à droite) qui portera jusqu’au mont Blanc la cage contenant le pigeon qui doit être envoyé depuis le sommet.
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Costume d’Henriette d’Angeville pour le Mont Blanc. Dessin de Deville.
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Extrait du carnet de guide de Jean Mugnier portant mention d’Henriette d’Angeville en 1838.
Le 5 septembre 1838, lorsque la caravane d’Henriette d’Angeville quitte Chamonix pour l’ascension du Mont-Blanc, elle compte six guides et deux porteurs dont Jean Mugnier, 31 ans.
On décrit ce dernier comme petit avec un air souffreteux mais doué d’une énergie et d’une endurance à toute épreuve. À cette date il est célibataire, chargé de deux sœurs, d’un neveu et d’un jeune cousin. Meunier au moulin des Frasserands, il détient la réputation de bon cristallier qui « ne craint pas de s’aventurer seul sur l’immense glacier d’Argentière sans autre ressource qu’une corde et une hâche. » Il y reste « des journées entières à parcourir les rochers les plus escarpés et les abymes les plus profonds. Il y passe aussi des nuits couché sur la glace (…) ce qui ne l’empêche pas de s’endormir tranquillement pourvu qu’auparavant il ait prié Dieu de veiller sur lui. »
Engagé par Joseph-Marie Couttet, guide-chef de la caravane de Mademoiselle d’Angeville, Jean Mugnier prend part pour la première fois à l’ascension du Mont-Blanc. C’est un porteur de confiance, coiffé d’un chapeau de paille et d’un « bonnet noir s’enfonçant sur ses oreilles, car il craint le froid, et d’où s’échappent des favoris noirs tout bouclés. Il porte un pantalon de futaine engagé dans de courtes guêtres de drap noir, une veste gris-bleu, un havre-sac sur lequel sont arrimés une couverture de laine blanche et une corde. Mugnier tient d’une main l’unique piolet de la caravane, une espèce de hachette à tranchant vertical et de l’autre une cage dans laquelle se trouve le pigeon du curé. »
La caravane, partie à six heures de Chamonix, parvient aux Grands Mulets à deux heures de l’après-midi. Elle y retrouve deux autres expéditions en route elles-aussi pour le Mont-Blanc : celle d’Eisenkrammer (gérant de l’hôtel de l’Union) conduite par Jean Tairraz et celle de Stopper (voyageur polonais) menée par David Couttet.
Dès son arrivée aux Grands Mulets, Jean Mugnier n’aura de cesse de se faire remarquer par sa gentillesse, son bon-sens ou ses capacités physiques… Envoyé en reconnaissance avec David Couttet, il en revient trois heures plus tard avec des échantillons d’épidote et de tourmaline qu’il offre à sa voyageuse. Le lendemain, c’est lui qui est chargé de faire la trace depuis le bivouac jusqu’au pied du Mur de la Côte où plusieurs guides, malades, abandonnent. De là et jusqu’au sommet, « Mugnier prend la tête, puis Joseph-Marie Couttet, Henriette et le porteur Pierre Simond. Les cinq autres suivent, les uns au-dessus des autres, agrippés à la pente. »
Au retour ce cette ascension victorieuse dont tout Chamonix se réjouit, un dîner est donné par Mademoiselle d’Angeville à l’hôtel de l’Union. Les guides et le syndic signent le certificat d’ascension à la voyageuse et lui présentent leurs carnets de guide à remplir.
À Jean Mugnier, le plus jeune de la caravane, particulièrement attentionné, Henriette d’Angeville, la « Fiancée du Mont-Blanc », offre son premier carnet de guide (alors qu’il n’est que porteur) avec une belle dédicace : » À Jean Mugnier, porteur à Chamonix de la part de Melle d’Angeville et en souvenir de l’ascension des 3, 4 et 5 septembre 1838. » Puis elle écrit sur la page suivante: » Je soussignée certifie que Jean Mugnier, porteur, m’a accompagnée en cette qualité jusqu’à la cime du Mont Blanc dans l’ascension que j’ai faite les 3, 4 et 5 septembre 1838 ; qu’il a montré une hardiesse et un courage extraordinaire en allant dès le premier jour faire avec le guide David Couttet un tracé dans la neige pour faciliter l’ascension du lendemain ; et qu’en fait il a constamment marché à la tête des diverses caravanes qui sont montées ce jour-là au Mont Blanc, leur frayant ainsi le passage au milieu des neiges et des écueils. Je certifie encore, qu’atteinte au mur de la glace de la Côte d’un état de sommeil et de souffrance occasionnés par la rareté de l’air, j’ai dû beaucoup à l’aide intelligente que m’a prêtée Mugnier dans ce moment pénible. Je désire que cette attestation consciencieuse puisse lui faire un titre d’avancement dans la carrière à laquelle il se destine. Chamonix le 7 septembre 1838. »
Et tandis qu’elle écrit, son jeune porteur, stupéfait de la rapidité à laquelle court sa plume, ose un beau compliment : « Mademoiselle, votre plume vous va comme à moi la corde. »
Sur la route du retour, Henriette d’Angeville prendra la peine de s’arrêter à Bonneville pour rendre visite à M. d’Onaz, commandant de la province du Faucigny pour lui déposer une recommandation en faveur de Jean Mugnier.
Dix ans plus tard, le 13 septembre 1848, et au terme d’une excursion d’une semaine autour du Mont-Blanc et au Buet, Henriette d’Angeville clot ainsi le carnet de guide de Jean Mugnier : « Il est impossible d’apporter plus de courage, d’intelligence et de soins que ne l’a fait Jean Mugnier pendant les huit jours consécutifs qu’il a été mon guide. »
Extrait du livre anniversaire du bi-centenaire de la Création de la Compagnie de guides de Chamonix par David Ravanel et Joëlle Dartigue-Paccalet.
Editions Glénat.