Petit bétail en estive
L’agriculture
Bien avant les vaches, les moutons auraient été, selon les archives anciennes, le bétail privilégié des paysans dans les Alpes du Nord. Par la suite – et jusqu’à nos jours – chèvres, moutons, cochons ou mulets complètent le troupeau des bovins, bétail plus « noble », plus cher et plus rentable mais aussi plus fragile et plus exigeant en qualité et quantité d’herbage.
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Le berger Maniglet
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Un petit chevrier sonne le rassemblement du troupeau
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Troupeau de moutons au Plan de l’Aiguille en 1905
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Chevrier à Planpraz
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L’utilité du mulet dans les alpages : ici à Pormenaz
Les chèvres et moutons
On tolère parfois un nombre limité de chèvres à l’alpage. Gourmandes de bourgeons et de feuilles tendres, elles participent au débroussaillage des alentours, ce qui est positif. Mais trop nombreuses, elles seraient responsables de dégâts pour les jeunes pousses en forêt. À Blaitière, lors de chaque inalpage, « l’on y pourra aussi mettre et garder une chèvre par chaque susdit fond de vache et son propriétaire, ce qui pourra produire par ce moyen le total de 72 chèvres. (…) Lesdites chèvres devront être écartées des pâturages des vaches autant qu’il sera possible pour ne leur être pas nuisibles… » Mais cet inalpage reste payant pour les propriétaires de bêtes qui ne produisent pas ou peu de lait. « Les boucs aussi bien que les chèvres qui n’auront point de lait payeront dix sols par tête. Celles desdites chèvres qui n’auront pas une 1/2 livre de lait auront leur susdit lait et payeront chacune dix sols« .
Ni Balme ni Charamillon n’en font mention dans leurs registres. En 1890, on demande à Benjamin Bochatay de construire « des barrières pour renfermer les chèvres sur les prés« .
Les ovins, bétail de prédilection des montagnards aux temps anciens, n’apparaissent sur pratiquement aucune des archives récentes. Pourtant, chaque famille possède quelques moutons, « petit bétail » facile se contentant de pâtures pauvres et pouvant être laissé en semi-liberté dans les endroits difficiles où la pelouse est rase comme la Montagne de Fer ou la Montagne de la Côte… Pourtant, en 1730, Michel Simond et Nicolas Ducroz acceptent douze brebis à lait sur l’alpage de Charamillon.
Les porcs
Parce qu’on peut les nourrir du petit-lait résiduel de la fabrication du fromage et du sérac, et parce que, bien engraissés pendant l’été on en tirera un bon prix à l’automne, les porcs sont invités eux-aussi à l’alpage. Mais ils ne peuvent être trop nombreux, car il n’y aurait pas assez de nourriture et les bêtes, affamées, se blesseraient entre elles. Le séjour d’un cochon à l’alpage est payant : 2 Livres en 1790 à Blaitière, 50 francs en 1926 à Lognan. S’il y a trop de demandes, la préférence sera donnée au propriétaire du cochon qui inalpe aussi une laitière. En 1842, à la Flégère, le prix de l’inalpage du cochon dépend de son poids : très engraissé il a consommé davantage de nourriture et son prix de pension est plus élevé. Une mesure est réalisée le 16 août : si la bête fait moins d’un mètre « d’épaisseur« , le prix est de trois Livres neuves et cinquante centimes. Dans le cas contraire, ce sera une Livre de plus. On devra se servir de la même mesure pour tous les animaux de cette espèce. Au surplus pour éviter toute difficulté sur l’uniformité de la mesure il est convenu qu’elle aura cinq centimètres de plus que le mètre ordinaire et tous les porcs dont la mesure arrivera sur ces cinq centimètres seront considérés comme d’une épaisseur au-dessous du mètre.
Malheureusement pour les porcs, on leur infligera, pendant toute la période d’inalpage, de porter un anneau dans le groin ; une décoration pas forcément agréable pour la bête mais qui aura l’immense avantage de l’empêcher de fouir et, ce faisant, de labourer toute la prairie. Cette mesure est très contraignante et très sévèrement contrôlée. À Balme, on confie aux domestiques le soin de surveiller que l’anneau reste en place et au besoin de le remplacer. « Cette opération sera à la vigilance du séracier » et payante. On en compte une dizaine pendant l’été.
C’est le porc « Bressan« , de couleur noire avec des bandes parfois jaunâtres, issu, dit-on, d’une race celtique, que l’on élève en Savoie. La qualité gustative de cette viande maigre et la saveur de ses jambons valaient au cochon noir de Savoie de faire prime sur les marchés de Grenoble, Lyon et Genève. Entre 1833 et 1855, quelques grands propriétaires savoisiens avaient introduit sur leurs domaines de gros cochons blancs anglais (Large white) pour les croiser avec les porcs du pays. Mais ces tentatives étaient demeurées très limitées. Bien que l’engraissement de ces animaux fût rapide, la masse des Savoisiens boudait ces cochons décidément trop gras et d’une moindre fécondité, et demeuraient fidèles à leur traditionnel porc domestique noir. Les truies « bressanes » avaient une seule portée en février-mars ; les porcelets étaient vendus à trois mois, et l’on en gardait un ou deux pour la consommation familiale, abattus en hiver, dans une célébration presque fastueuse, à 90-100 kg. »
En 1798, Blaitière emmontagne onze cochons. Le procureur François Garnit en perçoit vingt-deux Livres d’estivage. Pendant la même période, La Flégère reçoit entre 75 et 80 vaches et une dizaine de cochons chaque année.
Berthe Devouassoux née Ravanel se souvient de Lognan dans les années 1930 : » Après la fabrication du gruyère et du sérac, on obtient du petit-lait qui sert à l’alimentation des cochons. Le nombre des cochons admis à l’alpage était proportionnel au nombre de vaches afin qu’ils aient suffisamment de petit-lait. Ils devaient être ferrés afin qu’ils ne puissent pas faire de trous avec le groin et ne pas détériorer les prés. On leur passait un fil de fer dans le groin, ce qu’ils n’appréciaient pas du tout.
Pour monter les cochons à l’alpage de Lognan, c’était la grande expédition annuelle. Des Chosalets à Lognan, il fallait toute une journée. Les cochons ne sont pas bons marcheurs et ils n’en font qu’à leur tête. Nous partions au petit jour par le chemin de la Trappette, bien ombragé à l’époque, car ces bêtes souffrent de la chaleur. Ils ne devaient pas mesurer plus de 10 tours (100 cm de tour mesuré derrière les pattes de devant), sinon ils n’arrivaient pas à monter. Nous devions montrer beaucoup de patience et surtout ne jamais les frapper. En arrivant en haut, il restait un dernier obstacle : la traversée du torrent le « Grou-Moeu », ce n’était pas facile du tout. »
Les mulets
Bêtes de somme privilégiées des montagnards, les mulets sont les moyens de transport par excellence. Produit hybride d’une jument et d’un âne, il a plus ou moins gardé les qualités de chacun sans en prendre les défauts. Plus robuste que le cheval, il est aussi moins peureux et peut transporter jusqu’à 160 livres de charge (80 kg) si tant est qu’elle soit bien équilibrée sur son dos. Moins entêté que l’âne, il est sensible aux mots d’encouragements de son muletier et se laissera conduire sur les sentiers parfois escarpés.
On leur a confié certains matériaux nécessaires à la construction des chavannes, de la chaux, des clous… En début de saison, on leur a confié les chaudrons de cuivre, les « casses« , ainsi que divers ustensiles de cuisine et des pommes de terre… Ils ont parfois porté dans leur bât quelques poules, voire un chat… Ils redescendent avec un beau sérac tout frais et une meule ou deux de gruyère…
Les mulets sont indispensables à la vie de l’alpage et les procureurs de Balme déclarent annuellement la location du mulet d’un certain Borrel, des Houches, pour 100 francs.
Mais il est par ailleurs stipulé que la pâture d’un mulet privé sera payée par son propriétaire. À La Flégère, en 1887, Claret-Tournier, locataire du pavillon, paie 30 francs aux consorts pour la pâture du mulet et de la vache qu’il garde pour servir du lait aux visiteurs.
À Pormenaz, une luge à bras est utilisée pour le transport du matériel nécessaire à l’alpage ou, à l’inverse, pour descendre le fromage. Dirigée par un homme, la luge est attelée à un mulet (ou cheval) qui assure la traction du traineau chargé.
Les taureaux ou bœufs
Les grands alpages, comme Balme ou Charamillon accueillent un, plus rarement deux taureaux. La gestion du mâle à l’alpage n’est pas facile. Il est indispensable de disposer de place car l’animal ne peut pas être abrité à proximité des vaches. En 1918, Ernest Alexandre Comte vend une place à l’écurie de Balme. Cet emplacement se situe « en troisième position dans la rangée de gauche en entrant dans l’écurie n° 4. Il est destiné à être occupé par un taureau loué annuellement pour le service de la montagne« .
Le taureau est accepté à l’alpage car il est loin d’être « de nul produit« . En effet, les procureurs facturent les saillies aux propriétaires des vaches. On en compte une cinquantaine au cours de la saison d’estive.