L’eau des alpages
L’agriculture
Source de vie, l’eau est indispensable au fonctionnement de l’alpage. En altitude, au-dessus de 2000 mètres, en dépit d’un sol froid et stérile, les pelouses alpines verdissent d’une belle herbe, tendre et parfumée pour les troupeaux, grâce aux précipitations abondantes et aux nombreuses sources qu’elles génèrent. Dans les vallées proches du Mont-Blanc, les glaciers et les névés ont par ailleurs constitué de précieuses réserves d’eau, alimentant tout au long de l’été les ruisseaux et les torrents. Il a alors été facile, pour les consorts, de construire de petits canaux de dérivation depuis ces ruisseaux et jusqu’aux chavannes et aux écuries.
L’article en images
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La Flégère en 1932
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Le ruisseau de la Barme
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Petit bassin de la Charlanon
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Lac de Pormenaz
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Abreuvoir creusé dans un tronc
Abreuver le bétail, tenir le lait de la traite au frais, offrir aux alpagistes l’eau nécessaire à l’hygiène et à l’alimentation, « laver » le fumier en l’étendant largement de façon à répartir sur le sol l’engrais précieux… Sans eau, point d’alpage ! Aussi, avant même l’inalper, les procureurs doivent s’assurer que l’eau ne manquera pas. En 1801, la Reconnaissance de Balme précise que « les procureurs verbaux devront faire une rigole tout le long en travers au-dessus des écuries pour empêcher l’eau de pluye de se répandre dans les challex. Les domestiques devront entretenir cette rigole « .
S’il est riche en bon herbage grâce à la pluie, l’alpage des Péclerets ne possède pas de source. L’eau doit être captée au glacier du Tour puis amenée par un bief (bédière) jusqu’à la chavanne. Les procureurs s’assurent que les détenteurs du droit de lavage remettent chaque été en fonctionnement ce captage et cette canalisation.
Le 20 juin 1821, le procureur de Balme est payé pour monter à Balme » reconnaître le bon état des travaux d’amenée d’eau, soit la pose de soixante mètres de tuyaux, la fourniture d’une échelle et la fourniture du bois et les grillages nécessaires aux trois réservoirs de prise d’eau ainsi que les tuyaux de plomb pour les raccords « . Une vache laitière doit s’abreuver d’environ trois fois la quantité de lait qu’elle fournit, ce qui correspond à environ cinquante litres chaque jour.
En 1863, les consorts de la Flégère décident, faute de source, de creuser un canal de cinq kilomètres depuis le Lac Blanc. Pour le pavillon, ils paient une somme rondelette à Jean Simond pour creuser un bachal et un réservoir. En 1934, soit quelque soixante ans plus tard, des travaux de remise en état de ce canal ainsi que du chemin qui le borde sont programmés. Sur un coût total des travaux de 400 francs, le quart est payé directement par Joseph Claret-Tournier, concessionnaire du pavillon.
En 1911, Benoît Devouassoux est procureur à Balme. L’été est très sec, l’eau manque, l’alpage est en péril. » Jusqu’alors, l’eau que l’on parvenait à acheminer jusqu’aux écuries au moyen de sommaires canalisations de bois servait en priorité au travail de la fruitière. Après maintes controverses et souffrances, une solution tardive a contraint à l’abreuvage fréquent au lac de Catogne, soit environ à trois kilomètres en territoire suisse, sur lequel on s’exposait à des complications territoriales pour n’en obtenir que fatigue et dépérissement pour le bétail et les denrées « .
Cette solution n’est pas durable. Comment devra-t-on s’y prendre pour l’approvisionnement de l’eau nécessaire aux besoins et à l’hygiène de la montagne de Balme ? Il est décidé que les procureurs verbaux continueront comme par le passé et comme cela s’est pratiqué de temps immémorial à la dite montagne, d’entretenir les rigoles, chenaux en bois, etc., en un mot de maintenir en bon état d’entretien et en vrai père de famille les conduites d’eau existant actuellement à la dite montagne. Est nommée une commission de trois membres pour étudier s’il y a lieu d’établir de nouvelles conduites d’eau, soit en tuyaux de plomb, de fer galvanisé, de fonte, de grès, etc. (Ils doivent aussi étudier) si des sources ont été captées partout où il en existerait (dans 4 « crûses » différentes dont la plus élevée se trouve aux confins de la montagne, soit au sommet de Challonge.
Cette année-là, les travaux sont considérables. Les 4 et 5 juillet : pose de tuyaux de prise d’eau à la première crûse et réparation du chenal du bas : 10, 40 francs. Les 16 et 17 juillet : à la traversée de la première crûse ainsi qu’à la 3e, pose de tuyaux et réparations sur toute la ligne du chenal : 24,50 francs. Le 27 juillet : démarche auprès de la commission de l’eau pour connaître la suite donnée à la détresse et disette d’eau notification : 2,55 francs. Les 10 et 11 août : par suite de la réclamation de la part de l’adjudicataire se plaignant du mauvais beurre qui lui était livré imputable à l’eau infecte laquelle faisant défaut à tous les besoins, une enquête a dû être effectuée sur les lieux, tant à Balme que chez l’adjudicataire : 10,00 francs.
Les travaux réalisés, Benoît Devouassoux est le premier à s’en réjouir : » Enfin par le bon geste de la commission, quoique tardif, l’eau est arrivée près des chalets le 15 août au soir. C’était un événement plein de joie pour la domesticité. »
En 1947, l’eau manque à Planpraz. Impossible pour la toute nouvelle Association pastorale de faire monter du bétail. L’hôtellerie ne peut pas ouvrir. On fait alors appel officiellement et par l’intermédiaire du Ministère de la Production Industrielle à un sourcier-radiésthésiste, Antoine Gigaud demeurant à Meylan en Isère. Le 30 juin 1947, l’eau est trouvée !
Aujourd’hui, le réchauffement climatique fait maigrir les glaciers et les névés. L’enneigement est moins important. De régime nival ou glaciaire, les ruisseaux et torrents se tarissent dès le milieu de l’été. Il faut refaire les captages. À Blaitière neuf cents mètres de tuyaux sont tirés sur le tracé de l’ancien bief en 1991. Ce n’est toutefois pas suffisant et en 2016, les consorts sont obligés d’installer une citerne souple servant de réserve d’eau. Se remplissant en début de saison, sa capacité permet d’alimenter l’alpage jusqu’à la fin de la saison d’estive.
À la Pendant en 2006 et à la Flégère en 2014, la présence sur place d’engins de travaux publics permet d’enterrer les citernes.