Bergers à 2000 mètres
L’agriculture, Les gens d’ici, Les métiers
Comme l’ensemble des « domestiques« , les bergers sont nommés chaque année par les procureurs. Levés avant le jour, les bergers doivent d’abord assurer la traite des laitières. Geste très technique, il est habituel et quotidien pendant toute l’année à la ferme dans la vallée. Mais il devient très pénible à l’alpage, répété pendant une à deux heures le matin et autant le soir. Les vaches à l’écurie sont traites selon un tour de rôle préalablement établi. À Blaitière, en 1790, la traite est organisée de telle sorte qu’elle sera profitable à tous. À Balme, « on commencera par un bout du chalais, et l’année suivante du côté opposé. »
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Alpage de Carlaveyron
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Bergers à Pormenaz
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Troupeau à Planpraz
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Troupeau de vaches à Pormenaz
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Bergers à Lognan – 1945
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Chavanne des bergers de Loriaz
Le berger doit ensuite conduire le troupeau à la pâture. Aidé de son chien il doit contenir les bêtes à l’intérieur d’un périmètre bien délimité, mais non parqué. Il ne permettra au troupeau de sortir de ce périmètre que lorsque l’herbage aura été pâturé entièrement. En 1897, un nouveau réglement de l’alpage de Bayer précise que « les bergers doivent faire changer de place les bestiaux, les conduire à d’autres endroits chaque fois que le besoin l’exigera afin de leur procurer plus d’herbages, d’aisances et d’avantages. »
Les températures des nuits d’été ne permettent que très rarement au troupeau de passer la nuit dehors. Néanmoins, les bergers de Balme devront le faire, « dans des temps non pluvieux et dans les lieux convenables indiqués par les procureurs. » Ils attachent alors les vaches à la passonnée (pachonnée) à un piquet de bois (passon) solidement enfoncé dans le sol. Pour les petits bergers, ce sera une nuit à la belle étoile au milieu du troupeau. Heureusement, une petite guérite leur est fournie à l’intérieur de laquelle ils peuvent placer un lit pour leur repos nocturne.
Quand la passonnée n’est pas possible, le troupeau revient à l’écurie pour la traite du soir et la nuit. Bergers et petits bergers peuvent alors se reposer au sec. Alliés précieux des bergers pour surveiller le troupeau et ramener les bêtes qui s’en écarteraient, les chiens éloignent les bêtes sauvages, loups ou autres carnassiers. Il arrive néanmoins que les chiens deviennent semi-sauvages et très dangereux à leur tour. Pour ne pas blesser le bétail, on remplace les habituels bâtons par des fouets. Ainsi, à Balme, les comptes de 1911 font état de l’achat de « 3 manches de fouet avec les viroles, les boucles et les pictons ainsi que 3 lanières« .
Peu considérés, les bergers se situent en bas de l’échelle sociale que constitue l’équipe des alpagistes. Pendant que le fruitier perçoit 33 Livres de gages pour la saison, le berger n’en aura que 21, et le petit berger à peine 12. Aucune sécurité de l’emploi pour le plus jeune, « quand il y a si peu de vaches, on le renvoie« . Venus parfois du Valais, la plupart des petits bergers sont âgés d’une quinzaine d’années tout au plus. Pas de pitié dans ce milieu exigeant où tout est vital. Le jeune Joseph Frasserand, fils de Jean Frasserand des Bois, est renvoyé le jour même de son embauche parce qu’il ne « sait pas tirer le lait« .
Le travail des bergers n’est pas facile. Ces jeunes gens, presque des gosses, ont en charge un troupeau de bovins, du bétail assez placide généralement, mais qu’un rien énerve. Une température caniculaire ou orageuse, le ballet des taons qui sans cesse, piquent dans le cuir… ou au contraire un été pluvieux et glacé peuvent changer le comportement du bétail.
La toponymie a gardé la mémoire de quelques-uns de ces lieux de vie d’autrefois. Ainsi dans les Aiguilles Rouges, trouve-t-on l’Aiguille de la Remuaz et l’Aiguille de Mesure flanquée du Petit Doigt et du Grand Doigt de Mesure. Ces toponymes témoignent de l’importance des lieux, des activités qui s’y déroulent, des ressources que l’on y trouve.
Organisée environ une semaine à dix jours après l’inalpage, la première mesure du lait est d’importance et dans chaque alpage, la « reconnaissance » pose très précisément cette règle de la pesée du lait. C’est une précaution d’autant plus importante qu’elle détermine la répartition du fromage qui aura lieu en fin d’été. Mais les bergers, dont c’est le travail habituel, ne peuvent pas, ce jour-là, traire leurs propres vaches. Ils « seront tenus de les faire traire par d’autres pour éviter tous abus ou suspicions« . Les procureurs sont présents et notent avec précision la date et l’heure de pesée, les personnes en charge de la traite, et même l’ordre dans lequel doit se dérouler cette traite.
À Balme, on pèse la traite de l’après-midi, « aussitôt le lait recueilli dans le seillon« , tandis qu’à Blaitière on traira « ledit lait le matin et on le pèsera le même jour sur les 5 heures du soir« .
La première pesée détermine, par ailleurs, le statut de chaque vache. Si la pesée est bonne, la pâture de l’alpage lui sera dédiée. Si la quantité de lait tiré est insuffisante, la pâture devra être dédommagée par le propriétaire. « Les propriétaires des vaches qui ne mesureront pas une livre de lait seront obligés de payer pour chaque vache douze sols pour autant de demi-quart de livre, soit cuillerée qui manquera pour compléter la livre de sorte que s’il manque une cuillerée soit deux onces un quart pour former ladite livre ils payeront douze sols et s’il manque quatre onces et demi soit deux cuillerées ils payeront vingt quatre sols susdite monnaye de France. » « Ainsi à mesure du manquement ils payeront douze sols dite monnaye pour chaque cuillerée manquante et le lait de la vache qui ne fera pas la livre sera au profit de tous les consorts de ladite montagne ; il sera cependant libre de la laisser sans lait ou de le faire dissiper en payant comme pour une génisse ainsi qu’il est dit ci-dessous ou de descendre lesdites vaches si bon semble. »
Aux unités de poids ou de monnaie près, on trouve les mêmes textes en 1932 pour Lognan où l’on précise que les vaches déclarées « du lait » et qui fourniront moins d’un demi-kilo seront considérées comme taries. En 1801, à Balme, les vaches taries rejoindront le groupe du bétail « de nul produit » (génisses, vaches « grosses« ) et leur propriétaire paiera la pension correspondante, soit 2 Livres et 8 sols, le sel et le pain.
Si l’on considère que le lait est pesé à la cuillère près, c’est-à-dire un huitième de livre, soit 63 grammes, on comprend mieux l’importance donnée à cette coutume, justifiée par une équitable répartition du fromage.
À Loriaz, en 1906, le procureur est invité à vérifier qu’aucune goutte ne demeure dans le pis.
Effet du progrès, les procureurs de Balme sont autorisés, en 1911, à acheter un aréomètre pour « introduire une méthode plus juste et plus facile pour la division du fromage, par la connaissance de la valeur proportionnelle du lait que chaque consort mettra dans la montagne« .