Le train pour les voyageurs
RUBRIQUE : La route, Le train
L’avènement du chemin de fer reste assurément primordial dans l’envolée touristique en général, et dans l’essor chamoniard en particulier. On est loin des diligences, qui, avec vingt passagers seulement, paraissaient bondées en quittant Genève. On est loin également des piétinements d’attelages devant les hôtels. De 14 000 visiteurs en 1870, on passe à 130 000 en 1905 et 170 000 en 1907 !…
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L’hôtel Carlton
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L’avenue de la gare
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L’avenue de la gare rebaptisée avenue Michel-Croz
Première voie ferrée à traction électrique construite en France, la ligne le Fayet-Chamonix connaît immédiatement un immense succès et dès les premières années d’exploitation, le parc comprend 19 fourgons de tête, 72 voitures automotrices et 23 voitures remorques.
Il faut dire que la mode est à la montagne et à l’air pur. « Pour les habitants des grandes villes – où sur un espace relativement étroit se presse une population de plus en plus nombreuse – l’été est devenu une saison fort pénible. Les soirées mêmes sont écrasantes. Dans les rues, resserrées entre les maisons trop hautes, les murs surchauffés par le soleil du jour font rayonner encore une chaleur insupportable, tandis que l’atmosphère, alourdie par les lumières du gaz, continue à se charger de poussières de toutes sortes. Nous sentons positivement l’air nous manquer. Aussi, chacun cherche-t-il à fuir cette fournaise déprimante, où l’on rêve de coins de nature aérée et silencieuse, de larges horizons, de ruisseaux murmurants, d’arbres et de prairies. On éprouve le besoin d’oublier la vie surmenée et trépidante des villes et d’aller respirer un air plus pur et plus léger, se retremper physiquement et moralement dans de frais et beaux paysages ».
Et puis, grâce au train, les voyages sont beaucoup plus rapides et semblent donc bien plus faciles. « Il suffit d’une nuit (et d’une nuit où l’on dort dans un confortable compartiment d’express) pour être transporté d’un Paris étouffant au pied même du Mont-Blanc, dans un air pur qui met en nous une prodigieuse allégresse de vivre ». « Grâce aux efforts considérables faits par les Compagnies de chemin de fer, ce genre de « vacances », si utile au corps comme à l’esprit, a été mis à la portée du plus grand nombre, qui peut ainsi échapper au supplice des grandes villes pendant l’été. Aujourd’hui, presque tout le monde, même lorsqu’on doit ménager à la fois son temps et son argent, peut avoir sa part de ces distractions qui, autrefois, étaient le privilège exclusif des gens de loisir et des favorisés de la fortune. Aujourd’hui, l’on peut dire que l’homme a pu étendre et démocratiser, pour ainsi dire, le domaine des plus nobles curiosités ». Ce parcours est jugé « unique au monde », le voyageur au Fayet n’ayant que le quai à traverser pour monter dans le petit train de Chamonix.
Effectivement, de l’autre côté du quai attendent les petits wagonnets de teck verni, plus tard peints en bleu et crème. On y accède par des plates-formes ouvertes qui, par beau temps permettent aussi de contempler le paysage. Avec 24 places en 1ère classe et 30 places en 3e classe, on y trouve tout le confort et tout l’agrément souhaités malgré l’absence de wc-toilette : l’électricité fournit le chauffage et la lumière et « les pavillons ont été vitrés en partie, ce qui permet ainsi au voyageur de jouir commodément du magnifique spectacle des montagnes quelle que soit sa place dans la voiture. » Des passerelles mobiles permettent de communiquer entre les wagons.
« Un discret coup de sirène et en route ! »
« Du Fayet, un audacieux chemin de fer électrique, chef-d’œuvre des ingénieurs et des électriciens, grimpe dans le couloir de l’Arve, enjambe le torrent sur le viaduc de Sainte-Marie, une merveille de pierre, haute de 50 mètres, frôle le glacier de Taconnaz et celui des Bossons. Vallée sauvage, prairies couvertes de fleurs, pâturages où chantent les sonnailles des bêtes, chalets au bord des cascades, c’est une succession d’enchantements. Mais au-dessus, partout, toujours, la vision qui attire, retient, obsède, le Mont-Blanc, les glaciers, les dômes, les aiguilles étincelantes, dressés, groupés comme des gardes du corps autour de sa masse souveraine.
(…) Ici, l’hiver est radieux ; on ignore les brouillards, les boues horribles de nos villes. Le paysage n’est ni mélancolique ni triste, mais empreint de grandeur et d’une étonnante sérénité. Le pâle soleil éclaire une nature toute blanche ; l’atmosphère est plus limpide, plus claire, dégagée des vapeurs de l’été ; les cimes se profilent plus nettes sous un ciel bleu sombre. Rien ne rompt le silence qui nous environne, que le bruit lointain, le grondement majestueux des avalanches dans les hautes sphères, à cette sa ison désertes et inviolables. La nuit, les étoiles brillent, fixes, dures, véritables clous de diamant sur le velours d’un ciel immense. C’est le moment des grands sports d’hiver : courses folles en traîneau sur la route lisse et blanche, parties de patinage ; glissades vertigineuses, toboggans, skis, raquettes, luges, toute la gamme des saines et mâles distractions dont la mode se répand de plus en plus. Chamonix a ses « grandes semaines de neige », de janvier à mars, comme ses « grandes semaines de soleil », de juillet à septembre. »
L’arrivée du train à Chamonix, puis à Argentière et à la frontière suisse s’ajoutent au développement des activités de loisirs pour influer, de façon certaine, sur l’évolution de Chamonix et de la vallée.
En plus des excursions et des promenades d’été, on pratique maintenant différents sports d’hiver et de nombreux aménagements ont été créés dans ce sens : patinoire, tremplins de saut, pistes de luge… En 1905 est construit un casino municipal au Bois du Bouchet assorti d’une zone de loisirs proposant tennis, golf, hydrothérapie… Parallèlement, le secteur des Gaillands et son nouveau lac sont joliment aménagés pour le canotage, la baignade…
Avec la construction des grands hôtels et des palaces, les touristes en villégiature trouvent ce complément indispensable au bon déroulement de leur séjour. A l’intérieur de « ces gros paquebots de tourisme » – rivalisant avec ceux de Biarritz ou de Deauville – commodités, repas, loisirs et vie relationnelle sont organisés pour eux. Une richissime clientèle internationale y est attendue.
Le premier du genre sera le Savoy-Palace, construit par un membre de la famille Couttet du Grand Hôtel Couttet et Royal. Un peu excentré, il profite en revanche de la proximité des champs de neige. Puis on verra s’ériger le Chamonix-Palace, bâti en partie sur des délaissés de l’Arve et tout proche de l’hôtel d’Angleterre. Donnant sur l’avenue de la gare, on l’agrémentera d’un magnifique jardin. Avec le Majestic, Chamonix se dote d’un des plus hauts lieux de villégiature du monde. Limitrophe de l’hôtel Mont-Blanc, les deux parcs se touchent pour n’en faire plus qu’un, l’ensemble étant géré par une seule famille : les Cachat. Le romantisme et la nature sauvage ne sont plus guère de mode : on leur préfère, décidément, une nature apprivoisée, domestiquée !
En 1913, Chamonix compte :
Hôtels de tout premier rang :
– Carlton-Hôtel : avenue de la gare (été-hiver – 75 lits)
– Chamonix-Palace : avenue de la gare (en construction)
– Majestic : sur le coteau de l’église (en construction, 300 chambres, 150 salles de bain)
– Savoy-Palace : (20 mai-30 sept et 15 déc-15 fév) (100 chambres)
Hôtels de 1er ordre :
– Alpes (été-hiver) 120 chambres
– Angleterre et Grand Hôtel
– Beau Rivage et des Anglais (été et hiver) 90 chambres
– Cachat et du Mont-Blanc (été – 200 chambres)
– Couttet et du Parc (été et hiver – 95 chambres)
– Mer de Glace (été)
– Métropole et Victoria (été)
– Poste : été (90 chambres)
– Royal et de Saussure (été – 65 chambres)
Hôtels également confortables :
– Beau-Site et Continental
– Beau Lieu
– Beau Séjour
– Bellevue
– Belvédère
– Central Hôtel
– Claret et de Belgique
– Croix Blanche
– France, Union et Terminus
– Paris
– Suisse
– Univers et Genève
Autres hôtels :
– Allobroges (60 chambres)
– Balmat (50 chambres)
– Breton
– Chamonix
– Chemin de fer et de Milan
– Etrangers
– Europe
– Bec fin et fonctionnaires
– des Gourmets
– Helvetia
– International et Gare (40 chambres)
– Nord (35 chambres)
– Paix
– Touring et du Louvre