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T comme…Tannerie

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Promenons-nous du côté du charmant hameau des Tines. Au fil de notre déambulation, les noms donnés aux cheminements nous ouvrent un chapitre particulier dans l’histoire de la vallée : celui des fabriques. Ici, la tannerie (de tan, « poudre d´écorce de chêne servant au tannage », du gaulois tanno, « chêne ») est l’endroit où l´on traite les peaux.

Visitons ces industries artisanales aujourd’hui disparues mais toujours présentes dans la mémoire collective.

Diaporama de l’article

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L’ébourrage : un travail épuisant pour retirer  toutes les fibres résiduelles, source de pourriture.

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Image d’archives : on aperçoit les immenses cuves (ici en ciment) où les peaux sont trempées pour être assouplies.

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Image d’archives : L’ébourrage pour retirer les filaments résiduels.

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Archives départementales : 1551 – Extrait du schéma de l’Arve et des différentes « industries » tout au long de son cours.

    Comment ça marche ?

    Même si elle est sujette à des périodes de hautes eaux (printemps et été) suivies de basses eaux (automne et hiver), l’Arve présente un débit assez régulier préférable aux torrents émissaires, impétueux et imprévisibles. C’est depuis la berge qu’est installée la dérivation alimentant un bief (ou bédière, bezeria), chenal artificiel s’écoulant par simple gravité jusqu’au moulin. Dressée verticalement à l’aplomb de la bédière, la puissante roue à aubes peut alors offrir ses larges pales à la poussée du flot déversé par le bec du chenal d’amenée. Articulée par un « arbre de roue » depuis les structures construites à l’intérieur de la bâtisse, elle tournera au rythme du débit de l’eau, entraînant dans sa rotation les étourdissants rouages des meules, foulons, battoirs et martinets.

    Battoir, foulon, martinet…

    Dès qu’elle a pu être maîtrisée, la force générée par l’eau est devenue une énergie majeure pour tous. Puissante, gratuite et paraissant inépuisable, l’eau des rivières qu’alimentent de fougueux torrents a été rapidement exploitée. Le fond des chutes de l’Arve du défilé de la Poya est un lieu idéal où le flux est abondant et régulier. C’est pourquoi cet endroit a longtemps résonné des bruits quasi incessants des chutes d’eau, des grincements des énormes roues à aubes, des martèlements sur les cuirs, des va-et-vient des raisses et des tintements stridents des martinets sur l’enclume… Aux sons se sont ajoutées les odeurs, l’exhalaison acide et glacée de l’eau, la puanteur tannique des écorces de mélèze pilées et le parfum sucré de la sciure de résineux transportée par le vent…

    En entraînant la roue du moulin, l’eau a fait fonctionner les fabriques, base de quasi toute la production de l’artisanat et de la petite industrie jusqu’au XIXe siècle.

    Si l’installation des fabriques est relativement libre, les prieurs ne se gênent pas pour y prélever de substantiels impôts sur leurs revenus, le cens. Ils s’arrogent tout aussi facilement le droit de faire moudre gratuitement leur propre grain.

    Déjà en 1467, le censier mentionne sept moulins à farine : deux à l’Essert (au Fond du Bourg), un à La Frasse, un à Bonnanay (hameau près du village des Bois, disparu aujourd’hui), un à Argentière, un au Tour. Au XVIe siècle, les seigneurs temporels de la Ravoire possèdent trois moulins : un aux Houches, un à Vallorcine, un au Sommet du Bourg.

    Vers 1830, quatre martinets de forge et une bonne douzaine de moulins à grains fonctionnent dans la vallée. Vingt ans plus tard, on compte, pour le seul village des Favrands, trois meuniers, un tanneur, un forgeron maréchal-ferrant, un rétameur, deux cloutiers… À la même époque, en vallée de Vallorcine, plusieurs moulins sont établis sur l’Eau Noire.

    Le tannage des peaux

    Technique permettant, après de nombreuses opérations, de transformer la peau brute en un cuir souple, résistant et imputrescible, le tannage résulte d’une suite d’opérations longues et pénibles. On peut trouver :

    – Le tannage « à l’huile »

    – Le tannage à la fumée

    – Le tannage minéral à l’alun

    – Le tannage végétal à base d’écorce

    De préférence utilisé dans notre vallée, le tannage végétal est réalisé à partir de matières astringentes comme l’écorce des arbres (châtaignier, bouleau, mélèze…). Ce procédé, gourmand en eau, demande beaucoup de temps et de manipulations dans des conditions de travail difficiles et malsaines. Il en va pourtant de la réussite de ces tâches complexes que les peaux soient de bonne qualité tant pour la vente que pour l’usage immédiat, sellerie, cordonnerie.

    Le reverdissage dans les bains d’eau déraidit les peaux que l’on avait préalablement séchées ou salées. Suivent les fastidieuses manipulations d‘ébourrage, de pellanage et d‘écharnage qui les nettoient de tout résidu de fibres, puis le battage au foulon qui leur rend leur souplesse. Il est alors temps de passer au tannage proprement dit : des bains de tan prolongés. C’est là le secret de la réussite, l’écorce de chêne réduite en poudre (que l’on remplace dans nos vallées par l’écorce de mélèze) contenant les fameux tanins, composants pestilentiels mais indispensables pour empêcher la putréfaction du cuir.

    Le bief, dérivation de l’Arve, est primordial au fonctionnement de la tannerie. Outre le courant nécessaire pour actionner le battoir qui, le premier, pourra déraidir le cuir, il faudra de grandes quantités d’eau froide pour remplir les cuves dans lesquelles on plongera les peaux pour en éliminer les impuretés.

    Quelques outils du tanneur

    – la cornette à tracer, outil métallique en forme de feuille de laurier, trace un gabarit sur le cuir.

    – le couteau demi-lune ou couteau à pied découpe le cuir en suivant le gabarit et l’amincit (parage).

    – le tranchet coupe les fils, découpe le cuir et réalise des parages.

    – lame rectangulaire, le couteau à parer le cuir.

    – l’alène (plusieurs dimensions) perce le cuir.

    – les aiguilles « aux pinces » ou soies de sanglier « passent » le fil.

    – le formoir réalise un fini élégant par brûlure du côté de la fleur du cuir pour éviter qu’il s’effiloche.

    – la lissette lisse la tranche du cuir au moment de la finition.

    En date du 10 avril 1843, une délibération est prise par le Conseil municipal de Chamonix pour l’agrandissement de la tannerie de Michel Tairraz aux Praz. Deux ans plus tard, d’après les certificats délivrés par la corporation des arts et métiers, cette tannerie s’est transformée en une manufacture tenue par le maître-tanneur Jean Baptiste Bossonney (66 ans) et cinq boutiques tenues par d’autres maîtres-tanneurs : Jean-Joseph Fontaine (49 ans), Isidore Bossonney [frère de Jean-Baptiste](65 ans), Jean-Michel Tairraz (50 ans), Victor Simond (59 ans) et Jean-Marie Couttet (56 ans). Treize ans plus tard, en 1858, le recensement ne mentionne plus que deux tanneurs :  Joseph Bossonney (50 ans) et Joseph Tissay (39 ans) avec sa femme J. Chene, ainsi que deux ouvriers, Louis Chalande (34 ans) originaire du Chablais et Sophie Mouilles (18 ans) du Valais. On note également la présence d’un nouveau métier, proche du tanneur, celui de teinturier exercé par Jean Claude Sermet (32 ans).

    Sources et bibliographie :

    Archives départementales de la Haute-Savoie (10G 273 bis) (ADSH IV C96)

    Archives municipales de la Mairie de Chamonix

    Nicolas Carrier : « La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen Age »

    Paul Payot : « Au Royaume du Mont-Blanc »

    Hélène Viallet : « Au fil de l’eau, moulins et artifices d’autrefois »

     La plupart des mots en italiques sont issus des documents d’archives et en respectent l’orthographe. Certains sont toujours utilisés aujourd’hui en patois.

    Guillaume de la Ravoire est seigneur temporel de Chamonix, Servoz et Vallorcine.

    Les « foires à la sauvagine » sont assez fréquentes et concernent les peaux très recherchées de petits animaux sauvages, marmottes, fouines, hermines, blaireaux, renards…